12/04/2017

MISTER CASPIAN & HERR FELIX de William Kotzwinkle

William Kotzwinkle, ce phénomène... 
Y-en-a-t-il beaucoup, des écrivains comme lui, qui auront écrit autant de livres pour enfants, de romans de science-fiction, de romans noirs, de contes fantastiques, de nouvelles en tous genres et arpenté tous les terrains de la fiction avec pareille aisance ? Point commun à tous les éléments de son oeuvre, une décontraction de façade et un sens de la narration qui vous met illico dans sa poche. Pourtant, il y a loin entre la série pour gamins Victor le chien qui pète, le tragique bouleversant du Nageur dans la mer secrète, récit intime et pudique d'un deuil irréparable, au délire échevelé de certains de ses romans (dont Midnight Examiner, comédie slapstick sous acide, reste le sommet)... Jusqu'à ce Mister Caspian & Herr Félix qui n'est édité en français qu'aujourd'hui, trente ans après sa publication. William Kotzwinkle n'a peur de rien, et surtout pas de son imagination débordante. Jugez plutôt :

David Caspian est une star de cinéma adulée, oscarisée, un peu surmenée. La quarantaine bien sonnée, il promène son allure de dandy impeccable entre un agent spirituel mais vénal, une épouse spirituelle mais hystérique et sa petite fille de 11 ans, spirituelle elle aussi mais un peu trop maniaco-dépressive pour son âge. David s'apprête à tourner un nanard de science-fiction dans la Vallée de la Mort aux côtés d'une bombe sexuelle de vingt-cinq ans sa cadette, ce qui rend furieuse son petit bout de femme hystérique, et fou de joie son agent avide de dollars. En plus de l'âge qui s'avance et des petits bourrelets qui arrivent, Caspian a un problème de taille: il est victime de transsubtantiation de son moi intime vers un autre, dans une époque beaucoup moins confortable. Un phénomène qui va advenir de plus en plus souvent, de manière de plus en plus nette.
Cet autre lui, cet autre moi, s'appelle Félix, il est membre du parti nazi et vivote de magouilles et de marché noir en compagnie de son compère La Fouine, un as du baratin et du coup de surin. Tous deux travaillent pour le compte du colonel SS Mueller, bon vivant, homme à femmes, qui se sait dans le viseur de la Gestapo. Nous sommes en Allemagne, à l'aube de la chute du Grand Reich, à l'heure où l'on pend aux lampadaires les déserteurs et les tire-aux-flancs, que le Régime se sait acculé, et que les petits malins dans le genre de Félix travaillent à se faire des faux papiers en vue de se barrer très loin. Petit détail qui compte: Félix a été acteur de cabaret, il y a bien longtemps. Il sait jouer la comédie, connait l'art du maquillage, et sait faire semblant de boiter avec une fausse canne.

Petit détail qui compte: David Caspian a vécu en Allemagne lorsqu'il était jeune. Dans son bureau trône encore une affiche art nouveau vintage, qui date de cette période, et dont il ne s'est jamais séparée. Pas plus que ces reliques du Reich qui lui sont tombées dans les mains au fil des ans, il ne sait trop comment, et qu'il possède toujours. Dans ces rêves, dans ces phases de transe, il ne sait pas trop comment appeler ça, le colonel Mueller est incarné par un de ses amis comédien, et l'agent de la Gestapo Weiss ressemble trait pour trait à son psy, qu'il voit de plus en plus souvent ces derniers temps.
Qu'il s'agisse de crise de l'Inconscient ou du Surmoi, de schizophrénie aigüe ou de crises d'hallucination dues à l'art du dédoublement du comédien, Kotzwinkle se régale à ne pas tomber dans le piège de l'allégorie fastidieuse: Hollywood n'est pas un nouveau Reich, Caspian n'est pas un nazi qui s'ignore, mais en jouant sur les gammes d'un fantastique innocent (ce n'est pas un hasard s'il cite La Quatrième Dimension plusieurs fois), travaille plutôt sur l'art du comédien, ce syndrome complexe et contre-nature qui consiste, littéralement, à se mettre "dans la peau d'un autre". 

Plus qu'une variation autour du mythe Jekyll/Hyde comme le suggère le titre français (le titre original, The Exile, restant plus fidèle à la nature du bouquin), on pourrait plus lire ce roman comme un pastiche innocent, en plus fun, du fameux Abattoir 5 de Vonnegut qui, lui, jouait une partition autrement plus métaphorique et tragique sur un même principe narratif. 

Reste que Kotzwinkle est un Maître. Ces "glissements" d'une époque à une autre sont à faire lire à n'importe quel écrivain en herbe qui voudrait apprendre à raconter une histoire avant de jouer au petit malin avec les figures de style.

Reste que Kotzwinkle est un des plus grands dialoguistes du monde :
- ça c'est bien passé à Pittsburgh ?
- Je suis allé voir une de mes tantes qui perd la boule.
- Pour de vrai ?
- Elle reçoit des messages de la CIA.
- Mon oncle reçoit des messages dans son Sonotone. ça fait de bons dialogues parfois, je m'en sers dès que l'occasion se présente.

Reste qu'il reste PLEIN de Kotzwinkle à traduire. D'avance, merci Cambourakis, merci....

Signé: RongeMaille  


04/04/2017

LES ÉTOILES S’ÉTEIGNENT À L'AUBE de Richard Wagamese

Il y a un an, nous parvenait une traduction de ce très beau roman. L'auteur était alors inconnu en France. Il vient de s'éteindre à l'âge de 61 ans, et c'est pourquoi j'ai eu envie de parler de lui et de son bouleversant roman. Richard Wagamese est un indien Ojibwe vivant au Canada. Les Objiwés sont la plus grande nation amérindienne d'Amérique du Nord répartie sur le Canada et les États-Unis.
Les parents de l'auteur et divers membres de sa famille sont passés par les pensionnats destinés aux indiens. Je rappelle que ceux-ci avaient pour but d'assimiler les jeunes indiens autochtones à la culture euro canadienne, en d'autre termes cela équivaut à l'abandon total de leur identité et de leur culture. Les enfants étaient enlevés très jeunes à leurs familles et nombreux sont ceux qui ont subi des humiliations, des coups, des viols. A cela s'ajoutaient des conditions de vie et d'hygiène déplorables. Certains y sont morts. Et je vous laisse méditer sur la date de fermeture du dernier institut : 1996.
Pourquoi diantre tous ces rappels historiques me direz-vous. Patience j'y viens.
Tout ça pour dire que le bonhomme porte avec lui l'histoire familiale et l'envie de redonner la parole aux indiens.

Il n'est guère étonnant de retrouver également dans Les étoiles s'éteignent à l'aube une recherche identitaire.

Alors trêve de bavardages, laissez vous emporter sur une vieille jument avec le père, le fils et l'esprit de la nature pour un périple au cœur d'un paysage rude et aride.
Franklin a 16 ans. Il a été élevé par un vieil homme qui lui appris à se débrouiller avec la dureté du monde, à chasser et à se tenir digne et droit. Son père Eldon, mourant, rongé par l'alcool l'appelle à son chevet.
Il lui demande de l'accompagner pour son dernier voyage afin d'être enterré dans la montagne comme un guerrier indien.
Dans cet ultime face à face le père et le fils vont enfin faire connaissance pour arriver à une sorte de pardon ou d'apaisement pour l'un et l'autre. Pour la première fois, Franklin entend son histoire et celle de ce père absent, inconséquent, alcoolique. Il l'a toujours déçu. L'adolescent a définitivement perdu les espoirs de l'enfance et est prêt à l'affronter sans se laisser attendrir.
Eldon revient sur son lent cheminement vers l'alcool pour masquer les blessures. Sa vie d'adulte commence par une trahison maternelle dont il ne connaîtra jamais les réels motifs. Puis il y a la lâcheté, les remords, une vie âpre, une vie d'errance, de mauvais choix. Une fugace période de bonheur avec une femme aimée mais très vite là aussi une propension à tout détruire.
Richard Wagamese donne de la voix aux taiseux, aux abîmés, aux durs à cuire dans une langue simple, à l'économie.
Les mots claquent et nous enrobent dans un univers minéral et végétal.
Le vieil homme porte la parole d'une sagesse de gens simples, au plus près de la terre et d'une vie modeste.
C'est un texte auquel on se heurte, un lent cheminement au plus prêt des démons intérieurs. Une gueule de bois sur une vie chaotique. Et l'espoir peut-être d'un possible apaisement lorsqu'on a écouté, accepté et admis pour continuer son propre chemin.

Je vous souhaite un bon voyage Monsieur Wagamese et je me plais à rêver que vous êtes enterré sur une montagne comme un guerrier indien.


Signé : Fantine